Anthropomorphisme et chevaux : entre projections humaines et réalité équine
Partager
⏱ Temps de lecture : environ 4 minutes
« Mon cheval boude… », « Elle est jalouse de l’autre jument… », « Il fait exprès pour m’embêter. » Ces phrases, si fréquentes dans le milieu équestre, traduisent une même tendance : attribuer à nos chevaux des émotions, des intentions ou des pensées humaines. Ce phénomène porte un nom : l’anthropomorphisme. S’il peut sembler anodin, il a un impact direct sur notre manière d’interagir avec les chevaux et de répondre à leurs besoins.
Qu’est-ce que l’anthropomorphisme ?
L’anthropomorphisme, au sens scientifique, consiste à projeter des caractéristiques humaines sur un animal. Chez les chevaux, cela se traduit par des interprétations telles que :
- croire qu’un cheval « se venge » parce qu’on l’a fait travailler hier,
- dire qu’il « sourit » lorsqu’il retrousse la lèvre (réflexe de flehmen),
- supposer qu’il « comprend nos intentions » comme le ferait un humain.
Ce réflexe est naturel : nous cherchons à donner du sens aux comportements autour de nous, surtout lorsque le lien affectif est fort.
Quand l’anthropomorphisme nous induit en erreur
Le danger principal de l’anthropomorphisme est de mal interpréter les signaux du cheval, ce qui peut avoir des conséquences concrètes :
- Un cheval qui s’arrête ou refuse d’avancer peut être perçu comme « têtu », alors qu’il exprime peut-être de la douleur ou de la peur.
- Un cheval qui couche les oreilles n’est pas nécessairement « fâché » : il peut tenter de protéger son espace, signaler de l’inconfort ou réagir à une menace perçue.
- Penser qu’un cheval agit « par malice » peut conduire à des méthodes de travail injustes, voire coercitives.
En d’autres termes, projeter des intentions humaines peut occulter la réalité des besoins physiologiques et comportementaux de l’animal. Cela peut retarder un diagnostic vétérinaire, compliquer l’entraînement ou nuire à la confiance entre l'humain et le cheval.
Quand l’anthropomorphisme rapproche humains et chevaux
Interdire l’anthropomorphisme n’est ni souhaitable ni réaliste. Il joue souvent un rôle positif en favorisant l’empathie :
- Si un propriétaire pense que son cheval « est triste » de rester seul, il cherchera peut-être une solution de compagnie adaptée.
- Si l’on croit qu’un cheval « aime participer » à certaines activités, on sera plus attentif à lui proposer un environnement stimulant et respectueux.
L’important est de veiller à ce que ces projections servent le bien-être du cheval et non simplement les besoins émotionnels du propriétaire.
Trouver l’équilibre
S’appuyer sur l’éthologie
L’éthologie est la discipline scientifique qui étudie le comportement animal dans des contextes naturels ou domestiques. Elle observe les postures, les interactions sociales, les vocalisations et les déclencheurs environnementaux pour fournir des interprétations fondées plutôt que subjectives. En comprenant ces nuances, vous pouvez distinguer un comportement naturel du cheval ou un comportement qui peut traduire un inconfort, d’une projection émotionnelle humaine.
Pratiquer une observation neutre
Avant d’attribuer une émotion humaine, notez ce que vous observez (par exemple : « le cheval frappe du pied, secoue la tête, refuse d’avancer ») et cherchez des explications concrètes : douleur, inconfort matériel, peur, confusion liée au travail...
Cultiver une empathie éclairée
Utilisez votre sensibilité pour porter attention et soins, mais validez vos hypothèses par l’observation, la consultation (formateur, vétérinaire, maréchal) et l’apprentissage. C’est cet équilibre, entre cœur et science, qui protège le cheval et enrichit la relation.
Conclusion
L’anthropomorphisme est inévitable : il fait partie de notre manière d’aimer et de comprendre nos chevaux. Mais il devient problématique lorsqu’il nous empêche de voir leur réalité et de répondre à leurs besoins réels de manière adéquate.
Développer une relation juste avec le cheval, c’est apprendre à écouter ses signaux authentiques, tout en laissant une place à l’attachement et à l’émotion. En trouvant ce juste milieu, nous honorons à la fois notre humanité… et la véritable nature du cheval.
Sarah Pierard
Passionnée par les chevaux et engagée pour leur bien-être.