Comment j’ai fait le deuil de monter ma jument : accepter, réinventer, grandir
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Introduction
Quand on achète un cheval, on imagine des années de balades, de progression et de complicité en selle. Ce rêve, je l’avais aussi. Puis la santé de ma jument a pris une direction différente. Diagnostic par-dessus diagnostic, cela m'a menée à une autre forme d’amour et de présence : arrêter de monter, réinventer notre relation et mettre son bien-être au premier plan.
1. Le choc et l’acceptation difficile
Le choc n’a pas été brutal. Il s’est installé comme une ombre qui grandit au fil des mois, même des années. À l’achat, je savais déjà que ma jument n’était pas complètement saine. La vétérinaire qui l’a examinée n’avait pas pu se prononcer clairement sur la cause, mais son regard prudent m’avait laissé entrevoir que le chemin pourrait être semé d’embûches.
Quelques mois plus tard, la réalité s’impose : elle boite fortement. Le verdict tombe : syndrome naviculaire à l’antérieur droit. J’essaie d’y croire encore, de me dire que nous allons trouver une solution. Mais plus d’un an après, d’autres diagnostics s’ajoutent, comme une véritable cascade de mauvaises nouvelles : kyste osseux naviculaire à droite, syndrome naviculaire aux deux antérieurs, kissing spine.
Nous avons tout tenté : fers, bottes, injections de cortisone, traitements médicamenteux. Rien ne fonctionne vraiment, ou du moins pas assez longtemps pour que l’espoir se transforme en vraie victoire. J’ai aussi multiplié les approches parallèles, faisant appel à de nombreux professionnels : massothérapeute équin, ostéopathe, chiropraticienne, acupunctrice, soins au laser. Chaque tentative nourrissait un petit feu d’espoir qui s’éteignait quelques semaines plus tard.
Pendant tout ce processus, je me suis tournée vers le travail à pied, notamment le programme Parelli. C’était une nouvelle façon de nous comprendre et de rester connectées. Elle avait besoin de bouger, malgré ses douleurs, pour préserver sa mobilité, soutenir ses problèmes physiques et maintenir son équilibre mental. Le travail à pied permettait de répondre à ces besoins sans aggraver ses inconforts.
En septembre 2023, trois ans après son arrivée, j’ai pris la décision de la mettre à la retraite. Ce n’était pas un geste impulsif, mais le résultat d’un long cheminement. Petit à petit, j’avais cessé de me voir comme sa cavalière pour devenir avant tout sa soignante.
2. Comprendre pour mieux accepter
À chaque nouveau diagnostic, je me rapprochais un peu plus de ma décision et je m’éloignais de l’idée de la monter à nouveau. Certains résultats étaient particulièrement difficiles à encaisser, comme celui du kyste naviculaire, une condition irréversible et dégénérescente. Comment imaginer qu’elle pourrait vraiment être mieux de façon durable ?
J’ai beaucoup lu, écouté et confronté les avis des professionnels autour de moi. Tout cela m’a permis de construire une vision de plus en plus claire de la réalité. Plus je comprenais ce qui se passait dans son corps, plus je voyais que mon rôle devait changer.
J’en suis venue à une conclusion simple mais essentielle : son bien-être passait avant tout, même avant mon envie profonde de monter et de développer une relation cavalier-cheval. J’ai choisi de mettre cet engagement au premier plan, pour de bon. Ce processus avait en réalité commencé bien avant la décision officielle : je la montais déjà peu, car elle n’était souvent pas très bien, et je respectais toujours ses signaux. Ce qui change vraiment, c’est la façon dont on se projette. L’espoir et la vision de l’avenir font toute la différence entre attendre qu’elle aille mieux et accepter qu’elle ne retournera jamais au travail monté.
3. Réinventer la relation
Lorsque l’équitation est devenue impossible, j’ai cherché d’autres façons de partager du temps de qualité avec elle. Les balades en main, les séances de pansage et les jeux à pied sont rapidement devenus notre nouveau terrain d’entente. Le programme Parelli m’a aidée à garder un cadre d’apprentissage et de communication. J’ai progressé jusqu’au niveau 2, mais à un certain moment je me suis retrouvée bloquée sur plusieurs exercices qui nécessitaient de travailler au trot.
Malgré ces limites, il y avait une immense satisfaction à la voir bien dans sa peau, même sans la monter. Cette transformation a pris une autre dimension lorsque j’ai choisi de la déménager dans un environnement qui répondait mieux à ses besoins. J’ai eu le bonheur de la voir s’intégrer à un nouveau troupeau et vivre sa vie de cheval dans un espace plus adapté à ses contraintes physiques et à son tempérament.
C’est là que j’ai compris que son bien-être ne se mesurait pas seulement à l’absence de boiterie, mais aussi à sa capacité à interagir, à se déplacer librement et à exprimer ses comportements naturels.
4. Ce que j’ai appris sur moi-même
Ce cheminement m’a appris la patience, le lâcher-prise et l’écoute. J’ai compris qu’il est important de se battre pour son cheval, mais seulement jusqu’à un certain point. Lorsque les efforts deviennent de l’acharnement, ils finissent par nous user et nous détruire plus qu’ils ne nous aident.
J’ai aussi redéfini ce que signifie être propriétaire de cheval. Au départ, je pensais avoir acheté un cheval pour le monter. Avec le recul, je réalise que j’ai surtout acheté un compagnon avec lequel créer un lien profond, un être auprès duquel grandir à travers la relation.
Cette expérience m’a révélé la valeur inestimable du lien émotionnel par rapport à la performance. Si je devais recommencer avec un autre cheval, je commencerais par construire ce lien avant même de songer à m’asseoir sur son dos.
5. Messages pour ceux qui vivent la même chose
Reconnaître ses émotions est essentiel. Elles sont 100 % normales et même nécessaires pour avancer. La tristesse, la colère et le doute font partie du processus. Il n’y a rien à cacher ni à minimiser.
S’entourer de personnes qui comprennent aide à traverser cette étape. Mes proches en ont entendu parler encore et encore, au fil de mes remises en question. J’ai même envisagé de la donner, avant de me raviser. Il y a eu des périodes où je me sentais uniquement comme une donneuse de soins alors que j’avais l’impression d’avoir tellement plus à offrir.
Se rappeler que notre cheval n’évalue pas notre relation en nombre d’heures passées en selle permet de relativiser. Lorsqu’on se retrouve face à une situation que l’on ne contrôle pas, le mieux que l’on puisse faire est de l’accepter et d’en tirer le meilleur. Ce moment difficile peut devenir l’occasion de créer quelque chose de constructif, pour soi et pour son cheval.
Conclusion
Renoncer à monter ma jument a été l’une des décisions les plus douloureuses de ma vie de cavalière. C’est aussi celle qui m’a permis de découvrir une relation plus profonde et plus respectueuse de ses besoins réels. Aujourd’hui, je ne mesure plus notre lien en kilomètres parcourus en selle, mais en moments partagés, en regards échangés et en confiance construite pas à pas.
Si vous traversez une situation similaire, votre valeur en tant que propriétaire ne dépend pas de votre capacité à monter. Elle se mesure à votre engagement à offrir à votre cheval une vie qui respecte son bien-être, même si cela implique de réinventer votre vision de l’équitation.
Sarah Pierard
Passionnée par les chevaux et engagée pour leur bien-être.